Antoinette, Fatou, Djamila

Antoinette, née  au Cameroun

"Je suis partie de mon pays pour des problèmes de galères, surtout en ce qui concerne la santé. Là-bas, tu es malade, tu vas à l'hôpital, on t'injecte la piqûre, on ne t'examine pas pour voir de quoi exactement tu souffres. Il y en a qui y trouvent leur mort parce qu'ils avaient du diabète et on ne les a pas examinés. Tout ça, la galère, la souffrance, m'a poussée à venir en France. En France aussi, il y avait toujours des galères. Je suis tombée dans le froid, je n'arrivais pas à supporter. On peut dire que partout, il y a toujours un peu d'inconvénient. Mais ce qui est très, très bien ici, au premier plan, c'est la santé. On te suit. Et puis, on ne reste pas à la maison, on sort pour aller dans des associations, pour être ensemble, pour échanger des mots, changer de la solitude, être ensemble, et ça nous fait du bien. Au Cameroun, on est ensemble mais on ne sent pas très bien, à cause de souffrances de part et d'autre. La galère, c'est la santé, la pauvreté, il n'y a pas de quoi payer la scolarité. La famine aussi. On travaille mais on n'arrive pas à s'en sortir, car on ne se porte pas bien. Je termine en disant : la France nous fait du bien."

Fatou, née en Guinée Conakry

"Je vais parler en général, ce qui se passe avec les femmes là-bas, ce qui se passe avec les jeunes filles. Quand elles grandissent, vers l'âge de 12, 13 ans, dans certaines familles, ils les donnent en mariage. Parfois, le mariage peut être avec un homme qui a déjà plusieurs femmes. La petite va être la troisième ou la quatrième. Dans notre pays, il y a plein de ça partout. Même si tu n'aimes pas l'homme, tu es battue pour accepter. Tu vois la souffrance, à la fin tu finis par accepter. Même si tu ne veux pas rester dans ce mariage-là, tu ne peux pas t'échapper. A chaque fois que tu pars de ce mariage-là, ils vont te ramener par la force. Il n'y a pas que moi, c'est pour d'autres femmes là-bas. Si ton mari, il veut avoir quelque chose...  Par exemple, toutes les femmes, elles ont leur tour de rôle, ton tour arrive. Même si tu ne veux pas avoir avoir affaire avec l'homme, il va te prendre par la force. Il va te battre. Personne ne va venir pour dire : monsieur, tu arrêtes. Une petite fille, tu n'as pas le droit de la battre parce que tu veux te satisfaire avec elle. Comme c'est ta femme, tu as le droit de lui faire n'importe quel geste que tu veux, personne ne vient te dire que tu n'as pas le droit. Moi, ce qui m'a fait quitter mon pays, c'est certaines violences qui ressemblent à ça. Je ne veux pas parler dans les détails. J'ai vécu beaucoup de souffrances pour venir en France. Mais j'ai eu de la chance car j'ai rencontré quelqu'un qui m'a aidée. Si je suis là aujourd'hui, c'est grâce à ça, malgré que j'ai laissé des choses précieuses derrière moi et que je pense à ça tous les jours. Aujourd'hui, je vis en France, heureuse, avec mes filles, et j'aimerais bien rapporter ce qui m'appartient là-bas pour que ce soit avec moi ici. Je souhaite aussi, pour les personnes qui sont dans les mêmes souffrances que moi, dans mon pays, qu'il puisse y avoir une loi pour interdire ça. C'est ça mon plus grand souhait."

Djamila, née à Djibouti

"Moi, mon problème, c'était un mariage forcée. Avec une personne que je n'ai jamais aimée. Je n'ai jamais voulu être avec lui, mais quand même, ça a été arrangé avec ma famille, sa famille à lui. J'avais 19 ans. C'était quelqu'un qui était très méchant, qui buvait trop de drogues traditionnelles, qui aspirait de la colle dans une cannette, qui prenait des pilules, des trucs qui changent le cerveau. Il me menaçait tout le temps, il me frappait, je ne pouvais pas sortir de ma maison sans son autorisation. Lui, il n'était jamais là. S'il était là, c'était pour me violer, me brûler avec sa cigarette... J'ai oublié la moitié de ma vie, de mon stress. C'est trop dur à expliquer. Un jour, j'ai décidé de partir, parce que je n'avais pas droit au divorce, je n'avais pas droit de réclamation à la justice. Dans ce pays, il n'y a que les hommes qui ont du pouvoir. La femme, elle, elle ne peut rien. Même si sa vie est menacée. Vraiment, c'est un pays où il n'existe aucune loi pour les femmes. La tradition est trop forte face à la justice. Il faut régler toujours par la famille. Moi j'étais d'une famille minoritaire, une tribu qui n'est pas nombreuse. Ils étaient très pauvres. La tribu de mon ex était très connue, et avait les moyens aussi. Ma famille, chaque fois que je l'appelais pour résoudre mon problème et pour avoir une vie normale, une vie de couple, même si c'était un mariage arrangé, ça ne passait jamais. On ne me demandait pas ce que je reprochais à ce monsieur. La femme n'a pas le droit d'expliquer. Les hommes se réunissent entre eux. Un jour, j'ai décidé de quitter, pour de bon, je n'ai pas du tout envie de revenir. Je suis en France depuis 2006. Je préfère que ma mère, que j'aime beaucoup, vienne me voir ici. Et aussi, je n'ai pas les moyens de me déplacer avec tous mes enfants. J'étais enceinte quand je suis arrivée. Mon fils aîné m'accompagnait et ensuite, j'ai fait venir mes quatre enfants pour le regroupement familial. Ils vont à l'école, ils sont bien. La vie est trop dure, mais il n'y a pas de violences conjugales. Il n'y a pas d'hommes qui m'embêtent. J'ai mon choix, je suis libre. Je ne suis plus esclave de ma famille, plus esclave des autorités djiboutiennes, qui sont de la merde, on peut dire. Et un jour, je me battrai pour toutes les femmes du monde entier, pour leur droit à vivre tranquilles.

Je veux encore parler de l'excision des femmes djiboutiennes. C'est dramatique. J'avais sept ou huit ans quand on m'a excisée. C'était l'excision traditionnelle fait par une femme qui n'a pas eu de formation et même qui peut être aveugle. C'est une cérémonie comme égorger un mouton. On boit du thé, du café, et voilà, des femmes te forcent à écarter les jambes, d'autres te bloquent les pieds, la femme va te couper n'importe où, n'importe quoi, le sang va couler. Sans anesthésie, tu sens la douleur tout au fond de ton cœur. La femme te coupe avec une lame. Après, on va éplucher tes lèvres pour qu'elles se collent entre elles. Après on va mettre des épingles qu'on a prises sur des arbres, une de droite, une de gauche. Tu fais pipi debout. Tu ne dois pas écarter tes pieds parce qu'il faut que tes lèvres se collent. Si tu as une infection, on te fait laver avec de l'eau et du sel. Après le mariage, tu es comme une femme muette, aveugle, tu ne sens rien dans l'amour.  Dans tous les pays en Afrique où on fait l'excision, c'est ça qui apporte que la femme ne donne pas de l'amour à l'homme, ne pense pas qu'il a besoin de toi, elle attend toujours que lui, il provoque. J'ai tout compris en étant  en France, avant je ne savais pas. L'excision, ça sera mon premier combat. Je suis vivante, mais je ne peux raconter aucune histoire d'une femme dans l'amour. L'excision, c'est une vie à moitié morte. On détruit tes sentiments, on détruit tes sensations, on détruit tout."

A SUIVRE