Le travail, à quel prix ?
Samedi 1er juillet, Style Alpaga présentait son nouveau défilé-spectacle,
Un métier, un vêtement. Le défilé était suivi d'un débat sur le travail, reprenant les questions que posent les jeunes usagères de l'association. Une grande première.
Le défilé était aussi un concours. Les concurrent.es vinrent dès le matin pour les derniers préparatifs : ultime répétition de la mise-en-scène, maquillage, quelques ajustements sur les tenues... Une mise au point bien rodée pour elles/lui, qui n'affrontaient pas leur première présentation publique. Un peu éprouvante tout de même car tout le monde avait à cœur de bien faire - et de préférence, gagner. Dans le salon d'entrée de la médiathèque Lisa Bresner, l'exposition d'Émusion, Femmes au travail - 3 pas en avant, 2 pas en arrière, plantait l'ambiance. Pour les jeunes participant.es, le thème du travail évoquait ce jour-là une inspiration, peut-être des envies d'avenir. Mais au quotidien, les usagères se posent et posent de multiples questions sur leur avenir professionnel. À quel métier peuvent-elles rêver ? Comment s'y préparer ? Quelle réalité s'attendre à vivre demain ? Quels sont leurs droits et comment les obtenir ? Comment concilier travail et vie privée ? Pour donner des pistes de réflexion et poursuivre les discussions, Style Alpaga avait décidé d'accompagner l'événement festif d'un débat qui donnerait à voir aux jeunes filles/femmes la réalité du monde du travail aujourd'hui.
Après le spectacle, qui faisait défiler les mannequins en musiques dans une mise en scène éclairant les métiers illustrés, les binômes présentèrent leurs tenues : ce qui avait motivé leurs choix, leurs recherches de préparation, l'organisation d'un travail commun dans le respect des règles du projet... Cette implication personnelle dans une entreprise collective serait un des critères dont devait tenir compte le jury. Il se retira dans une petite salle close, en compagnie des tenues sur mannequins qui permettraient de juger de la qualité technique et du soin de la couture. Il ne faudrait pas oublier, mise à part l'esthétique, la fonctionnalité du vêtement, selon l'expérience des apprenti.es, dont certain.es ne faisaient que débuter.
Christophe Patillon, animateur au Centre d'histoire du travail de Nantes, dépeignit en préambule du débat un tableau sombre du monde de travail d'aujourd'hui. Il souligna notamment "la fragmentation du salariat, avec des statuts très différents. On peine à faire l'unité pour se défendre." Il opposa les promesses faites aux jeunes poursuivant une filière de bac professionnel et la réalité de leur vie en entreprise, qui génère chez eux frustration et mise à distance des syndicats. La "conscience de classe", expression oubliée, revient avec l'expérience, rassura-t-il : "Les gens trouvent encore les moyens de faire entendre leurs voix pour défendre leurs droits." Une femme du public resserra le débat sur le travail des femmes :"On représente 52% de la population, mais on a encore des difficultés." Elle évoqua son expérience personnelle quand, cherchant un stage de couturière, elle s'entendit à deux reprises refuser un poste sous prétexte qu'elle était une femme. "J'étais confrontée pour la première fois à la discrimination sexuelle. J'ai pris une claque, je n'ai pas su comment réagir." Elle revint aussi sur son passage à un accueil : "On me parlait mal. J'étais déconsidérée." Elle avoua que, à cause de son âge, 36 ans, elle considérait les syndicats comme "quelque-chose de très rigide. Je n'ai pas connu les luttes." Mais elle lança un appel à la solidarité : "Si on arrivait à se mettre dans les chaussures les uns des autres, ça irait déjà mieux. Fédérons-nous par n'importe-quel moyen." L'intervenante suivante rappela que les travailleuses disposaient toujours d'allié.es : "Il faut mener un combat pour défendre les instances qui défendent les droits. La violence est illégale." La loi sur l'égalité salariale, souligna-t-elle, emploie la formule "à travail de valeur égale, salaire égal". Il était temps de "reconnaître de la valeur au travail fourni par les femmes", quasi systématiquement sous-évalué dans les faits.
Christophe Patillon remémora l'histoire du mouvement ouvrier car actuellement, dans le néo-capitalisme, "c'est l’individu qui prime, au détriment du collectif – alors que le mouvement ouvrier s’est construit contre cette idée-là." En déclarant que l'inégalité femmes/hommes dans le travail correspond à la mentalité ambiante et sert les intérêts du patronat, le conférencier s'attira des contradictions dans la salle. Une femme dit que son discours masquait des évolutions à l'œuvre, dont elle cita des exemples, et qu'il fallait faire savoir aux jeunes filles comme à leurs parents, pour accompagner l'élan vers l'avenir. Un homme déplaça la discussion vers la responsabilité du consommateur qui sciemment, par manque d'argent souvent, achète des biens dont le bas prix dénonce un système de travail défavorable aux employé.es. En réponse à ces deux interventions, Christophe Patillon se défendit de considérer tous les employé.es comme parfait.es. Mais il avoua en avoir assez des discours appelant les jeunes à une combativité qui leur garantirait une vie professionnelle réussie. "Le discours de la vérité peut aider les gens. On assiste à un délitement du salariat. On favorise l'auto-entreprenariat, ça fabrique des arrogant.es, et des frustré.es à la finale. Les gens ne pensent qu'à ne pas dépasser leur bénéfice autorisé pour ne pas payer de taxes." Une membre de Style Alpaga raconta ses problèmes avec l'Éducation nationale. Elle soulignait ainsi la difficulté de concilier travail et éducation des enfants en tant que mère seule. Une situation qui suscita de nombreux commentaires dans la salle, sur laquelle il conviendra de revenir dans un autre débat, puisque le temps réservé à celui-ci était écoulé. On pourra aussi y transmettre les témoignages écrits des membres de Style Alpaga, dont un seul fut choisi pour être lu publiquement. Il devait ce privilège à ce qu'il émanait d'un garçon - le seul au sein de l'association.
En clôture de cette après-midi, furent annoncées les délibérations du jury. Il y avait des Prix pour tous les binômes, mais différents selon la place dans le classement. Pour les premières : une journée dans l'atelier du maître chocolatier Vincent Guerlais. Heureux hasard, ce sont les sœurs Azara et Fatima qui l'emportèrent avec leur tenue de cuisinière.