Sur scène, ensemble
Est-ce que les enfants polyhandicapé·es peuvent accéder au théâtre ?
Peuvent-iels partager une création avec des enfants « valides » du même âge ? Ciels-ci auront-iels l’intelligence, la volonté de museler un peu leur ego
pour trouver de nouvelles formes de communication ? Trois femmes chaleureuses et déterminées ont relevé le défi.
Aude Pedrol et Flora Dugast sont AMP (aide médico-psychologique) à l’institut d’éducation motrice (IEM) de la Buissonnière à la Chapelle-sur-Erdre. Elles accompagnent des enfants de 9 à 12 ans, polyhandicapé·es, très limité·es physiquement, privé·es de la parole, avec lesquel·les elles communiquent pourtant. Aude Pedrol est par ailleurs « passionnée de théâtre », membre de la troupe Les Hoboes. Elle avait depuis longtemps envie de monter un atelier théâtre à l’IEM mais elle ne savait pas « comment c’était possible, compte tenu du handicap des enfants. Je voulais leur permettre de s’exprimer, sortir quelque chose d’eux, car ils n’ont pas beaucoup d’endroit pour, des lieux où on peut tâtonner, où on peut expérimenter un peu. Puis cette année, je me suis dit, pourquoi ne pas essayer les choses ? » Avec Flora Dugast, qui dit tout ignorer du théâtre mais se passionne pour son métier, elles décident de « faire des rencontres avec les enfants, sans savoir où ça irait. »
Hélène Sirven (Cie À main levée, compagnie très présente sur le quartier Bellevue), « comédienne depuis un peu plus de vingt ans », qui anime des ateliers de théâtre pour tous âges, est consultée. « Si, c’est du théâtre. » déclare-t-elle. « Alors, on a appelé ça théâtre, et plus, atelier d’expression. »
Surprise et apprentissage
Elles commencent par un peu d’échauffement, en musique. Puis choisissent dans un répertoire procuré par Hélène Sirven une musique pour chaque enfant ; pas au hasard mais en cherchant des ambiances qui correspondent à chacun·e. Elles poursuivent par des vocalises, des mouvements, et construisent peu à peu une saynète pour chaque enfant, sur sa musique. Enfin, elles vont avec les enfants rencontrer celles et ceux que fait travailler Hélène Sirven le mercredi à l’école Lucie Aubrac de Bellevue. Iels ont le même âge, « un des éléments les plus importants, souligne Flora Dugast. Les enfants en situation de handicap se retrouvent souvent avec des enfants plus jeunes et on ne voulait pas ça ». Les membres du cours d’Hélène Sirven ne souffrent pas de handicap. Comment vont-iels vivre cette rencontre avec des êtres qui communiquent d’une façon qui leur reste totalement inconnue ?
« Ils ont été très surpris·es, se souvient Hélène Sirven. Pourtant, on les avait préparé·es. Il a fallu qu’ils fassent d’abord connaissance, tout simplement. Je leur ai présenté comme un défi. Je leur ai expliqué que c’était des enfants qui ne pouvaient pas parler, qu’on allait devoir trouver un moyen de communication autre et que le théâtre, ça pouvait être un moyen. Ils ont accepté le défi, très simplement, c’est un groupe spontané. Ça leur a permis de rencontrer des enfants qu’ils n’auraient sans doute jamais rencontré·es. » « C’était une belle rencontre, conclut Flora Dugast, avec un objectif défini. Et pour une fois, ce sont les enfants en situation de handicap qui proposaient quelque-chose, et non l’inverse. » Par souci de sécurité, Aude Pedrol les accompagne et les aide sur scène ; peu à peu, les “valides“ se sont substitué·es à elle dans cette tâche. Hélène Sirven pense que l’émergence de contraintes nouvelles, de la nécessité de prêter davantage d’attention aux autres les a fait évoluer.
Souvenir et plaisir
L’expérience a-t-elle plu aux enfants de la Buissonnière ? Les éducatrices s’en déclarent certaines. « Nous, on a des gamins qui peuvent s’endormir facilement s'ils s’ennuient, explique Flora Dugast. On les a vu lutter contre le sommeil jusqu’à ce qu’ils passent sur scène. Après, iels relâchaient un peu. » Aude Pedrol complète : « Et comme spectateur·trices, ils étaient aussi très à l’écoute. » Les deux insistent sur l’importance de l’attitude d’Hélène Sirven, « très rapide dans sa relation avec eux ». « Non, c’est eux qui ont été très rapides avec moi », rectifie celle-ci. Quoiqu’il en soit, le contact humain s’est fait et sans lui, rien n’aurait été possible.
Hélène Sirven qui ne savait pas « ce qui l’attendait », est entrée dans le jeu sans a priori. « Et ça été facile, parce qu’ils sont tou·tes venu·es vers moi. » « Ils t’ont tout de suite montré qui ils étaient », commente Flora Dugast. « Oui. C’était amusant de voir toutes ces personnalités. Ça correspondait au groupe du mercredi, où il y a aussi des personnalités marquées. Le contact s’est fait petit à petit. Petit à petit, les « valides » bougeaient les fauteuils, aidaient aux déplacements. ». Les enfants n’osaient pas intervenir sans demander l’avis des AMP ; ils n’osaient pas demander directement aux enfants de La Buissonnière comme elles le leur recommandaient. « Nous non plus, on ne comprend pas toujours tout, disent-elles. Mais c’est notre métier. À force de les côtoyer, on les connaît. »
C’est une aventure de longue haleine, incompatible avec la précipitation. « L’année dernière, on ne leur aurait pas proposé ça. ils ne se connaissaient pas, ne nous connaissaient pas. » Les trois complices espèrent renouveler l’aventure à la rentrée prochaine. La satisfaction des parents renforce les espoirs. L’exposition des photographies, dans lesquelles la photographe Corinne Provost a su « capter des regards, des moments », accompagnée des musiques où les enfants réagissaient à celle qui accompagnait leur propre saynète, a engendré un contact : « Les enfants étaient ravi·es de montrer ça à leurs parents. »