80 % d'écoute
Educatrice spécialisée, seule professionnelle salariée du Lieu, Fanny Gingreau remplit trois missions : accompagnement social des femmes accueillies, lien avec les partenaires sociaux, soutien technique aux bénévoles.
"Quand on me demande "qu'est-ce que tu fais avec les femmes ?" , j'ai un peu de mal à répondre parce que ça dépend tellement de la personne. Je pense que je fais 80 % d'écoute. Certaines demandent à me voir en tête à tête dans mon bureau, mais il n'y a rien de social à faire, c'est juste pour pouvoir livrer un peu son truc."
Après un Master 1 "Intervention sociale sur les territoires", Fanny Gingreau a décidé de suivre une formation d'éducatrice spécialisée afin de s'ouvrir des portes professionnelles. "Mais j'avais fait le même boulot avant d'avoir mon diplôme d'éduc ! J'ai commencé en 2005 dans les accueils de jour à Paris. J'ai travaillé avec Emmaüs. J'ai fait de la maraude dans le bois de Vincennes, ça consiste à aller à la rencontre de gens installés là." Puis elle quitte Paris pour Nantes. Elle fait le "vrai choix" de postuler quand le poste d'éducatrice spécialisée se libère au Lieu d'accueil de jour pour femmes des Restaurants du Coeur. "Là où je travaillais avant, c'était un lieu d'accueil mixte, mais le mercredi était réservé aux femmes. Cette journée atypique me plaisait. Le travail me plaît toujours ! Il est vraiment intéressant."
Fanny Gingreau insiste sur le fait qu'elle ne remplace pas les assistantes sociales. "Celles qui ont un lien avec une assistante sociale le gardent. Je peux en appeler une s'il y a un couac, mais je ne remplis pas les demandes. J'accompagne particulièrement les femmes qui ne voient pas d'assistante sociale, c'est-à-dire des femmes en situation irrégulière, pour lesquelles les assistantes sociales ne peuvent de toute façon pas faire grand chose. Je suis un peu un repère pour elles. J'essaie qu'elles soient moins paumées dans la masse administrative. J'explique ce qui a été dit par un avocat, je les mets en lien avec une assistante sociale de l'hôpital, car beaucoup ont des problèmes de santé..." Fanny Gingreau peut appeler le 115 pour appuyer une demande d'hébergement, "non que j'ai plus de poids, mais quand une femme n'est pas bien, je le signale". Elle contacte des "avocats militants" susceptibles de faire avancer la question de l'hébergement si ça bloque. Elle oriente vers la Cimade les étrangères perdues dans le labyrinthe des papiers. Les demandes peuvent s'éterniser et pendant ce temps-là, elle gère l'attente. "Les femmes peuvent paraître très joyeuses, mais il y a des moments où elles en ont marre. Déjà, les écouter, c'est quelque chose. Je me dis que le peu que je fais, c'est déjà ça."
Le Lieu ouvre trois jours par semaine. Les autres jours, Fanny Gingreau travaille seule dans son bureau. "En principe, je pourrais recevoir des dames. Mais je profite de ce temps pour réfléchir. J'essaie de ne pas trop me blinder. C'est nécessaire d'avoir des moments pour souffler."
Auprès des bénévoles, Fanny Gingreau dit "essayer d'apporter une vision un peu professionnelle de ce qu'on entend par "accueil", et vérifier que les ateliers qu'on propose ont vraiment un sens sur le long terme. L'action Atout Cœur pour les Dames me parle bien car ça se fait sur la durée avec une finalité. Outre faire des collages ou de l'expression orale, les femmes seront valorisées d'avoir l'agenda qu'elles vont garder."
Soumise au secret professionnel, elle ne partage pas ce qui se dit dans son bureau. "Maintenant, je suis là aussi pour expliquer les comportements et comment il faut agir. Ici, les femmes ont vécu des choses difficiles, très, très variées. Certaines ont des comportements inadaptés, et si on reste sur un comportement social classique, qui ne sont pas sympas. Mais l'idée, c'est de pouvoir les accueillir telles qu'elles sont. Ce qui ne veut pas dire qu'on accepte tout, on n'accepte pas les insultes. C'est bien cependant de savoir que si elles se comportent comme ça, il y a des choses derrière. Peut-être que le lien aux autres n'est pas facile. On demande beaucoup à ces personnes : elles se traînent déjà des valises, et on leur demande en plus d'accepter à côté quelqu'une qui a d'autres valises, et que ça se passe dans le calme. Alors que nous-mêmes, dans notre vie personnelle, ça nous arrive de perdre patience !"
La liste des bénévoles se monte à une trentaine de personnes; une d'entre elles gère le planning. Elles sont passées par le siège des Restaurants du Cœur, ou ont fait leur recherche personnelle et téléphonent au Lieu parce que l'accueil pour femmes les intéresse. Annick et Michel, les responsables, les reçoivent en entretien. "Dans vouloir venir aider, il y a plein de choses qui se jouent, commente Fanny Gingreau. Les bénévoles ne comprennent pas toujours bien qu'elles peuvent venir deux jours par semaine, mais pas trois. C'est important que chacune puisse avoir sa place à égalité, et aussi une vie à côté. En plus, viennent des étudiantes, ou des professionnelles au chômage. C'est intéressant, les pros !" Fanny Gingreau, placée sous la responsabilité d'Annick et Michel, n'a pas de hiérarchie professionnelle. Il y a des avantages, mais elle se sent un peu seule. "Les échanges professionnels manquent. J'ai quand même des contacts avec des collègues à qui je fais appel pour gérer des situations que je ne connais pas, et savoir vers quoi orienter les dames."