L'égalitéE femmes/hommes : une priorité pour Nantes en 2015 ?
La réponse lors d’une table ronde organisée par la ville de Nantes était : oui. Annie Dussuet, sociologue, y a rappelé des faits et posé des pistes pour comprendre, et franchir, les obstacles que rencontre la mise en place d’une égalitéE réelle.
Depuis 2012, Nantes fait partie des cent soixante-dix collectivités européennes signataires de la Charte européenne pour l’égalité femmes/hommes dans la vie locale. La signature de la Charte engage les collectivités, dans les deux ans qui suivent, à élaborer un plan d’action favorisant l’égalité. La table ronde du 6 novembre dernier était l’occasion pour la ville de Nantes d’initier un processus de participation des associations œuvrant sur la question de l’égalité femmes/hommes à la politique décidée par les pouvoirs publics.
Aïcha Bassal, adjointe à la vie associative, à l’égalité et la lutte contre les discriminations, a ouvert la table ronde en rappelant que l’égalité entre les femmes et les hommes était au cœur du projet municipal. A noter l’annonce de la désignation d’une chargée de mission à la Ville, Carole Voisine, qui s’occupera exclusivement de cette question. Annie Dussuet, sociologue, Emmanuelle Proteau, déléguée départementale et Valérie Loirat, cheffe de projet Europe et citoyen.nes sont ensuite intervenues sur le thème « Agir pour l’égalité femmes/hommes à Nantes – Quels enjeux, contexte et condition de réussite ? ».
On peut regretter cependant que cette table ronde ait été menée par un animateur qui posait ses questions directement aux trois intervenantes, laissant peu de place à la prise de parole par le public et rendant cet exercice formel. Cela manquait de débats.[1]
Le genre, un constat, pas une tocade
Annie Dussuet, maître de conférences à l’Université de Nantes, a resitué les enjeux lors de son intervention. Elle propose trois pistes de réflexions : les liens entre les inégalités et le genre, une explication du concept de genre et pour finir, une question : « Pourquoi les politiques générales ont achoppé sur la question de genre ? ».
Annie Dussuet fait le constat que les inégalités entre les femmes et les hommes persistent alors que sur le plan du droit, l’égalité entre les femmes et les hommes est réelle. Pourtant, en France, les femmes continuent à gagner un quart de salaire en moins que les hommes pour une tâche équivalente. A Nantes, 32 % des femmes travaillent à temps partiel contre 12 % des hommes. 70% des travailleurs pauvres sont des Nantaises. Ces disparités résistent au droit, la loi n’est donc pas mise en application. Ces inégalités salariales ont évidemment des conséquences sociales : les femmes sont plus affectées par la pauvreté. L’inégalité salariale au sein du couple soulève la question de l’autonomie de la femme.
Pour comprendre cet échec, Annie Dussuet propose de revenir sur le concept de genre. Contrairement à ce qu’on peut entendre ici ou là depuis quelques mois, les recherches sur le genre ne datent pas d’aujourd’hui mais des années 1970. C’est un système de différenciation et de hiérarchisation qui catégorise les individus de façon binaire, selon qu’ils ou elles soient homme ou femme. Cette socialisation différenciée, développée par les interactions dans la société, va transmettre des comportements sexués et cette conséquence ne concerne pas de la même manière les femmes et les hommes. Les normes sociales sont sexuées, elles reposent sur des différences et des prévalences. Ainsi il existerait des travaux d’hommes et des travaux de femmes. Evidemment les travaux des femmes n’ont pas la même valeur sociale, ils sont jugés inférieurs parce qu’ils sont considérés comme naturels à la femme, elle-même inférieure. Le concept de genre n’est pas un sujet d’étude réservé aux sociologues, d’autres catégories de chercheurs s’en sont emparé, notamment Françoise Héritier, anthropologue dont les travaux ont démontré la division sexuelle des activités, divisions qui se retrouvent partout dans notre société. Ainsi on peut dire que c’est un constat universel. Il serait donc normal ? Non, car la division sexuelle du travail change, c’est l’appréciation qui, elle, ne change pas. Le genre est perçu comme étant naturel parce qu’il est attaché à la différenciation anatomique du sexe. Le genre masque, il dévalorise. Il y a une dimension de «naturalisation», processus social masqué qui ancre des pratiques inégalitaires. A titre d’exemple, les catalogues de jouets qui envahissent nos boîtes aux lettres en cette période de l’année. Nous y retrouvons encore aujourd’hui les pages dédiées aux petites filles, roses, les bleues étant pour les garçons, avec leur arsenal respectif de jouets et loisirs prédestinés et stéréotypés.
Pourquoi les politiques publiques échouent-elles ?
Enfin, Annie Dussuet pose la question de l’échec des politiques publiques en matière d’égalité femmes/hommes. Les pratiques sont ancrées dans la vie quotidienne, nous nous comportons en tant qu’homme ou en tant que femme. Cela nous paraît naturel. On pourrait alors préconiser une politique neutre qui ne s’adresserait ni aux femmes ni aux hommes ; mais ça ne fonctionnerait pas non plus parce qu’elle n’aurait pas le même impact sur chacun et chacune, elle pourrait même renforcer les inégalités. Il en est ainsi des politiques publiques globales portant atteintes aux droits sociaux ; elles creusent les inégalités entre les femmes et les hommes.
La sociologue s’appuie aussi sur l’exemple des dispositifs publics mis en place pour les personnes âgées. Ces dispositifs oublient une chose importante : majoritairement, les personnes âgées sont des femmes qui vivent seules, contrairement aux hommes qui vivent le plus souvent en couple. Le temps est donc aussi genré. Il en va de même pour l’espace public. Les hommes ne se comportent pas de la même façon dans l’espace urbain que les femmes.
Les inégalités s’ancrent dans les comportements de la vie quotidienne. Les politiques publiques doivent avoir une approche transversale, dans toute la société il y a du genre. D’ailleurs, les collectivités locales sont employeuses de femmes, ce sont même les premières. Il y a donc beaucoup encore à observer en matière d’inégalitéEs.[2]
[1] Pour prolonger les réflexions, trois ateliers se dérouleront entre décembre 2014 et février 2015. Sont annoncés : le 5 décembre 2014, atelier « Relations filles/garçons » ; 20 janvier 2015, « Emploi, précarité» ; 3 février 2015, « Femmes dans la vie locale ». Ces ateliers participatifs devraient intervenir dans la mise en œuvre d’un plan ÉgalitéE. A leur issue, seront annoncés la mise en place d’un Conseil nantais de l’égalité femmes/hommes (rentrée 2015) et un plan d’actions, dévoilés à l’occasion de la Journée internationale pour les droits des femmes, le 8 mars.
[2]Nous ajoutons que, malgré des avancées en matière législatif (la loi cadre contre les violences d’août 2014), le choix politique de la disparition d’un Ministère des droits des femmes pour un secrétariat d’Etat a aussi réduit les moyens pour lutter contre les inégalitéEs. Le Secrétariat d’Etat n’a plus de mission interministérielle (transversalité des politiques), et reçoit désormais un budget 25 millions, contre 241 millions pour le défunt Ministère.