Des femmes aux commandes, gage de progrès ?
par Sabine Reynosa
Devant les succès électoraux remportés par
les extrêmes droites européennes, il convient de s’interroger sur les ressorts de communication utilisés. Mais au-delà de la question de l'extrême-droite, ne faut-il pas élargir la réflexion aux
enjeux de toute propagande autour des femmes ?
A cet égard, le film
"Populisme au
féminin", de Hanna Ladoul, Matthieu Cabanes et Marco La Via, coproduit par LCP (La Chaîne Parlementaire) nous apporte d’intéressants éléments de reflexion.
Les 3 jeunes journalistes qui ont réalisé ce documentaire partent du constat qu’en Europe, plusieurs de ces partis d’extrême-droite,
considérés comme bastions d’une virilité surjouée, défenseurs acharnés du patriarcat et chantres de l’exclusion, sont aujourd'hui représentés par des figures féminines : Marine Le Pen bien sûr,
pour la France, mais aussi Anke van Dermeersch (Vlaams Belang, Belgique), Pia Kjaersgaard (Parti du Peuple danois), Siv Jensen (Parti du progrès, Norvège), Krisztina Morvai (Jobbik, Hongrie) et
Céline Amaudruz (UDC, Suisse). Ce paradoxe ne serait-il qu'un avatar des avancées de l'égalité femmes-hommes ?
Ces dirigeantes ont ou auraient en commun blondeur, "douceur" des traits, écoute, empathie,
"charme"…bref, les attributs de "l'idéal féminin" traditionnel...
Autre point commun: un discours de rejet et d'exclusion très dur, vis-à-vis des Roms, des immigré-e-s, de l'Islam.
L'idée principale autour de laquelle s'organise le documentaire est que cette émergence des jeunes
femmes blondes sert une stratégie double :
1. jouer sur les stéréotypes associés aux femmes pour séduire et rassurer un électorat rebuté par l’image dure, violente, radicale qui colle à ces formations. Pour reprendre les termes d'une de
ces dirigeantes, il ne s’agit plus de politique mais de "marketing" ;
2. légitimer une véritable croisade contre l'Islam, présenté comme une menace pour le droit des femmes moyennant un amalgame avec l'Islam politique. Pour ce faire, ces dirigeantes n’hésitent pas
à revendiquer un positionnement "féministe" (l’une d’elles bénéficie du reste d’une filiation familiale utile à cet égard).
Le reportage pointe avec insistance tous les poncifs qui participent ordinairement des stéréotypes liés aux femmes : images, discours, mise en scène de corps, avec le très emblématique cas de
Anke van Dermeersch, ex-Miss Belgique, qui avait promis de poser nue dans Play Boy si elle était élue…. En revanche, on peut regretter que ne soient pas relevés, et encore moins analysés, les
contre-stéréotypes, ou marqueurs traditionnellement associés à la virilité, qui viennent contredire ce déluge permanent de "féminité" : voix grave, gestuelle autoritaire, ambivalence de l’image
d’une de ces femmes à cheval (si l’association femmes/nature renvoie à un registre traditionnel, l’utilisation de l’image du centaure comme symbole de virilité évoque aussi la communication de
Sarkozy, Poutine ou encore Valls).
En fait, d’entrée de jeu, la surprise des journalistes devant la présence de femmes à la tête de
ces formations est révélatrice de leurs propres représentations, d’autant que l’antinomie réelle ou supposée est assez peu étayée par la confrontation entre prises de position, écrits théoriques
sur la question du patriarcat, et propagande.
Par ailleurs, jamais ces femmes dirigeantes n’apparaissent réellement en position de commandement, ni de production idéologique.
Inconsciemment ou non, le reportage tend ainsi subtilement à accréditer l’idée que seules importeraient l’image et le talent de ces oratrices, et que leur rôle se limiterait à mieux faire
accepter des idées fabriquées en coulisse par des "mentors" masculins. Lesquels apparaissent, à travers interviews, traitement des images et commentaires, comme les véritables commanditaires de
cette entreprise.
Ainsi, les journalistes sont-ils eux-mêmes pris au piège des stéréotypes qu’ils pointent, certes, mais renforcent involontairement en même temps, par un traitement parfois naïf ou réducteur des
informations.
Néanmoins, on aurait
mauvaise grâce à ne pas souligner que ce documentaire fait pièce à des raisonnements simplistes mais encore trop fréquents ; en particulier, croire qu’une femme à la tête d’une
organisation/entreprise serait gage de féminisme, d’engagement progressiste, de management "soft", démocratique, collaboratif etc.
Le film montre très clairement que la question de l’égalité peut aussi bien être instrumentalisée à des fins de propagande et/ou de promotion personnelle.
Que dès lors quela place des femmes dans une orga/entreprise repose sur des enjeux de communication, elle s'accompagne d'un corpus qui ne fait que conforter les stéréotypes : des femmes comme
porte-parole, certes, mais des femmes à qui on va aussi demander de répondre à des critères en cohérence avec le rôle attendu (être jeunes, avenantes, conformes à l'esthétique du groupe...)
D'où la nécessité d’une veille critique permanente, afin de déjouer le piège des stéréotypes que l’on peut contribuer à construire tout en prétendant et croyant les combattre: ex. du
business case, qui consiste à vanter de supposées qualités propres aux femmes pour les promouvoir... L'égalité ne peut réellement progresser qu'à condition de sortir de la paresse intellectuelle qui pousse à admettre l'enfermement dans des rôles
sociaux assignés !