Terreur en Égypte
par Sérénade Chafik
Il y a quatre ans, Moubarak avait été destitué, Place Tahrir. C'était la naissance d'un grand élan d'espoir, on rêvait d'un autre monde. Mais le fascisme militaire a transformé le pays en un tombeau à ciel ouvert.
Nous ne pouvons pas rester témoin passive face à toutes ces violences étatiques. Soutien et solidarité avec les révolutionnaires égyptiens victimes de la répression et des lois liberticides de la contre-révolution portée
par le fascisme du régime militaire égyptien !
La révolution égyptienne qui a commencé le 25 janvier 2011 avait et a toujours trois revendications essentielles : Liberté, Dignité, Egalité sociale. Le régime militaire a repris le pouvoir en Egypte suite à un coup d’état contre ses ex-alliés islamistes, les Frères musulmans. Depuis, le général El Sissi a décidé d’en finir avec la révolution. Il a adopté les méthodes les plus fascistes pour réprimer les révolutionnaires qui doivent faire face à une répression sans précédent. Depuis que l’armée a destitué le président islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013 et réprimé dans le sang les manifestations de ses partisans, on assiste à la multiplication des condamnations à mort et à de longues peines de prison par centaines dans des procès de masse expédiés parfois en quelques minutes.
Dans le même temps, Moubarak, le président égyptien destitué, ses enfants et les représentants de son gouvernement déchu, sont tous acquittés, que ce soit dans les affaires de corruption, ou pour leur responsabilité dans les meurtres des manifestant.es lors des dix-huit premiers jours de la révolution de janvier 2011. Ils sont pourtant parmi les vingt responsables égyptiens impliqués dans les faits de corruption dans l’affaire HSBC. Alors que les jeunes qui ont fait la révolution sont en prison, les hommes de Moubarak se présentent pour les élections législatives 2015 !
Une répression bien orchestrée avec les médias
Dès novembre 2013, le gouvernement promulgue une loi anti-manifestation. Les militant.es manifestent et dénoncent cette mesure liberticide. Ils et elles sont violenté.es. Ils et elles sont arrêté.es en détention provisoire et durant des mois (Mahmoud Mohamed a 19 ans ; depuis plus d'un an, il est en détention provisoire). Le juge ne fera qu’ajourner les procès, ce qui permet de les détenir plus d’une année sans jugement. Le temps nécessaire aux médias pour faire une vraie campagne de lynchage colportant les pires diffamations et accusations, allant jusqu’à réclamer la peine capitale à l’encontre de ceux et celles qui ont organisé et participé à la révolution pour le chef d’accusation de haute trahison. Des responsables vont même déclarer que la révolution n’était qu’un complot visant à fragiliser le pays ! Une partie de la gauche institutionnelle qui a joué sous Moubarak le rôle d’alibi, participe à ces campagnes de dénigrement.
Entre le 23 et le 26 janvier 2015, à l'occasion des manifestations célébrant les quatre ans de la révolution, "les autorités égyptiennes ont tenté de dissimuler la mort d'au moins vingt-sept personnes" (communiqué Amnesty International). Les leaders de la jeunesse révolutionnaire, qui ont combattu, le comité suprême des forces armées à qui Moubarak a confié la gestion du pays, et les islamistes arrivés au pouvoir en 2012, subissent une répression systématique. Ils et elles sont emprisonné.es. Pire, l’État organise leur liquidation par des assassinats ciblés lors des manifestations contestataires.
La résistance coûte le prix fort : le 24 janvier Chaïmaa EL Sabbagh, militante du parti de l’Alliance socialiste, leader populaire du mouvement ouvrier à Alexandrie, connue pour ses prises de position contre le régime des Frères musulmans et celui des militaires, est froidement abattue par la police alors qu’elle participait à une marche pacifique portant des fleurs pour rendre hommage aux victimes de la Place Tahrir. Le 13 février, le procureur général interdit toute publication à propos de l'assassinat de la militante de gauche.
Le régime organise des tueries de masse
En Egypte, si on s'engage politiquement, on est tué.e ou emprisonné.e. Si on s'engage dans un club sportif, on est tuée ou emprisonnée. Toute organisation de jeunesse politique ou sportive qui a participé à la révolution voit ses membres liquidés ou arrêtés par le régime.
Deux clubs de jeunes supporters des équipes de football les plus populaires en Egypte avaient participé activement à la révolution et à la résistance face au pouvoir des islamistes et des militaires : Ultras Ahlawoui, et Ultras Zamalek. En 2012 à Port Saïd, sous le régime des Frères musulmans, une émeute est déclenchée dans le stade ; les supporters Ahlawoui succombent. Il s’agit d’un vrai massacre. Ils ne peuvent pas s’enfuir du stade de la mort, les issues ont été scellées une fois que le public était à l’intérieur. Jusqu’à ce jour, aucun responsable n’a été inquiété d’aucune poursuite judiciaire. Par contre, afin de punir la population de Port Saïd, ville où se déroulait le match, on va prononcer la peine de mort sur des dizaines de jeunes de cette ville, qui avait été la première à se soulever héroïquement en janvier 2011.
Alors que les matchs se déroulaient depuis plus d’un an sans public, le 7 février 2015, le directeur du club Zamalek annonce la gratuité pour le public. Ce directeur est connu pour être un pro-Sissi. Le 7 février, la veille du match, on change le portail du stade militaire dans lequel va se dérouler le match et on le réduit à deux mètres de largeur pour des milliers de supporters. On installe également des couloirs grillagés jusqu’à l’entrée. Le 8 février 2015, des milliers de personnes font la queue pour regarder le match, le couloir grillagé est trop étroit, la sécurité pousse le public vers le portail déclenchant une bousculade. On tire sur ceux qui reculent. Le traquenard était bien prémédité, le bilan s'élève à trente-quatre morts.
La police arrête les jeunes Ultras qui ont échappé au massacre. Ils sont actuellement en détention provisoire. Dix-neuf jeunes ont été déferés devant le parquet parce qu'ils n'avaient pas de tickets pour le match. Mais pas d'enquête sur le massacre. On prétend que les incidents ont eu lieu parce que les supporters voulaient entrer sans billet. La presse française relaye l’information en France en ne se référant qu’aux déclarations du ministère de l’Intérieur égyptien : ça ne serait qu’une affaire de violences de stade, causées par des hooligans.
Procès de masse contre des militant.es
Des révolutionnaires tel.les Yara Sallam, Sanaa Abd El Fatah, Salwa et tant d’autres militantes pour les droits humains et les droits des femmes, sont condamné.es à des peines de trois ans de prison ferme pour avoir participé à un rassemblement dénonçant la loi anti-manifestation. Les militant.es sont arrêté.es au bout de quelques minutes.
Le 4 février 2015 , Ahmad Doma, leader de la révolution déjà condamné à trois ans de prison pour avoir organisé une manifestation illégale contre le nouveau gouvernement du président, le général Sissi, ainsi que deux cent vingt-neuf autres militant.es, dont trente-neuf mineurs, sont condamné.es à la prison à vie parce qu’ils/elles ont participé à une manifestation en décembre 2011. Parmi les condamné.es, Hend Nafee, que la police avait frappée et dénudée. Comme elle avait bénéficié d’une campagne de soutien nationale et internationale dénonçant les violences spécifiques que les militantes en Egypte subissent, il fallait la punir. Elle doit rester à vie en prison.
Tout au long de ce procès, le juge n’a eu de cesse de prononcer des peines de prison à l’encontre des avocats de la défense. Sur les six avocats (avocats bénévoles appartenant à des associations de défense des droits humains), cinq ont été condamnés à six mois de prison. Le barreau des avocats a alors demandé le retrait de la défense, tant que le droit ne serait pas respecté. Le juge Nagui Chehata, qu’on retrouve dans tous les procès à l’encontre des manifestants, poursuit tout de même jusqu’à la délibération sans avocats ! La veille, ce même juge avait prononcé la peine de mort pour cent quatre-vingt trois prisonniers soupçonnés d’appartenir à la confrérie des frères musulmans.
Alaa Abd El Fatah, co-fondateur de plusieurs associations de défense des droits humains et des enfants, connu pour ses positions anti-militaires et ses participations aux manifestations anti-milices des Frères musulmans quand ils étaient au pouvoir, est condamné à cinq ans de prison et 100 000 livres égyptiennes d’amende pour avoir participé et organisé une manifestation contre la loi liberticide anti-manifestation promulguée en 2013. Quant à son camarade prison, Ahmad Abd El Rahman, il a été dans le même procès condamné à la même peine sans avoir participé à la manifestation : il était simplement venu secourir une manifestante tabassée par des policiers en civil. Leurs vingt-quatre autres camarades doivent faire trois ans de prison et payer la même somme.
En février 2015, dans la foulée d’une série de procès contre les militant.es révolutionnaires, Mahinour, militante pour les droits humains, proche du mouvement des Socialistes Révolutionnaires, ainsi que vingt-huit autres militant.es, ont été condamné.es à trois ans de prison pour avoir participé à des manifestations devant le siège de la confrérie des Frères Musulmans, du temps où ils étaient au pouvoir, bien que le régime militaire actuel les en ait chassés en juillet 2013.
Un silence complice
Depuis août 2014, une centaine de prisonniers d’opinion sont en grève de la faim dont Alaa Abd El Fatah. Mohamed Soltan, prisonnier et gréviste de la faim depuis trois cent soixante jours est en état de santé critique. Il habitait les Etats Unis et a la double nationalité ; il s’est rendu en Egypte pour voir son père. La police n'a pas trouvé le père, un frère musulman, et a pris le fils en otage ! Mohamed Soltan n'est dans une aucune formation ou organisation politique.
Tous et Toutes poursuivent leur mouvement dans l’indifférence la plus totale des médias égyptiens et internationaux. Le ministre de l’intérieur égyptien déclare qu’une peine de prison de trois années sera réservée à ceux qui critiquent sur les réseaux sociaux les décisions judiciaires. La politique de la terreur cible désormais tout le monde. On n’arrive pas à recenser le nombre des morts sous la torture dans les commissariats lors des gardes à vue. Par exemple, en deux mois, janvier et février 2015, sept cas de morts suite à de la torture ont été dévoilés dans l’unique commissariat de Matareya, quartier populaire du Caire. Nous ne pouvons pas non plus compter les morts dans les prisons, que ce soit parmi les prisonniers d’opinion ou de droit commun.
Au nom de la lutte contre le terrorisme
Au nom de la lutte contre le terrorisme, le président égyptien, seul décideur en l’absence d’un parlement, promulgue des lois liberticides qui visent à pénaliser le mouvement contestataire.
L’appel à la révolution a été fait par Asmaa Mahfouz et Israa Abd El Fatah, toutes deux membres du mouvement 6 avril. Aujourd'hui, elles sont considérées comme traîtres par le pouvoir et les médias qui le soutiennent. Parce que le mouvement de jeunesse 6 avril a été un des initiateurs du mouvement de grève générale, qu’il a réussi à populariser ; parce que ce mouvement de jeunesse a été celui qui a appelé clairement à la révolution de janvier 2011. Un procès est intenté pour considérer aux yeux de la loi le mouvement comme terroriste. Le président égyptien a promulgué en février 2015 une loi qui permet de considérer comme terroristes presque tous les mouvements de résistants, qu’ils soient un mouvement d’étudiants, syndical ou politique.
Dès le coup d’état, en juillet 2013, on a réprimé dans le sang les manifestations des partisans des frères musulmans : en une seule nuit plus de sept cents personnes seront tuées. S’ensuit alors une multiplication des condamnations à mort et à de longues peines de prison, par centaines dans des procès de masse. Le gouvernement provisoire déclare la confrérie des Frères musulmans organisation terroriste. Les manifestations des étudiant.es sont aussi réprimées dans le sang : la loi anti-terrorisme pénalise toutes les organisations politiques, étudiantes, sportives ou religieuses qui s’expriment contre n’importe quelle décision du régime.
En même temps, face aux attaques de l’état islamique et de DAECH, le gouvernement autorise de nouveau les salafistes à faire leur prêches dans les mosquées, des prêches qui pour la plupart incitent à la haine et aux violences conjugales. Il s’appuie aussi sur des fatwas émanant d’El Azhar (institution étatique du culte musulman). On nous dit que ce sont les représentants de l’islam modéré, or un cheik d'Al Azhar a lancé une fatwa qui permet au président Sissi de crever les yeux des contestataires. Le gouvernement explique ses choix en arguant qu’il doit encourager l’islam modéré face au terrorisme islamique.
La France ferme les yeux
Le gouvernement français, qui est CHARLIE, a accepté que le ministre des affaires étrangères égyptien (parmi d’autres dictateurs et criminels de guerre) défile lors de la manifestation parisienne de défense de la liberté d’opinion et de la presse. On n’a pas pensé à demander au représentant de l’état égyptien de libérer les journalistes égyptiens qui sont en prison.
La France, en dépit des conventions internationales sur la vente d’armes, signe un contrat juteux avec le général sanguinaire El Sissi. Le cynisme de l’État fait primer l’intérêt du vendeur d’arme Dassault, alors que le général El Sissi devrait faire l’objet d’une enquête afin d’établir son rôle dans la pire tuerie de l'histoire récente de l’Égypte.
Le 22 février 2015, le général El Sissi a reconnu lors de son discours que des jeunes sont dans ses prisons pour des raisons d'opinion. Lors de sa rencontre avec Hollande, il a dit : “Je suis pour les droits de l’homme… mais pas pour le moment”.
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