Joëlle Epp, paludière et tapissière
S’exprimer par son métier
Joëlle Epp se dit « féministe dans l’âme ». Elle a choisi de le vivre en conduisant sa vie en toute indépendance.
Simultanément photographe et secrétaire à Grenoble, Joëlle Epp a « rencontré le marais » en 1994. Elle a suivi la formation et s’est installée comme paludière à Guérande, qu’elle connaissait pour y avoir passé toutes ses vacances en compagnie de ses grands-parents.
Elle récolte toujours le sel. Mais ce métier qui ne connaît pas la mécanisation exige des efforts physiques. Victime de « problèmes de dos », Joëlle Epp a dû réduire son exploitation.
Du sel aux tissus
Que faire pour compléter ses revenus ? « J’ai tourné autour du pot pendant un bon moment ! Puis un jour, j’ai voulu retaper un fauteuil. J’ai utilisé les outils laissés par le père d’André, mon compagnon... Et puis je n’ai plus arrêté ! ».
D’expérimentations « pour se faire la main », en stages « pour apprendre les techniques», elle conquiert peu à peu ce nouveau métier, la tapisserie. Désormais, quand elle regarde un film, elle prête une attention particulière aux fauteuils.
Elle cherche, elle fouille à la recherche de tissus. Elle démonte les sièges, les recolle. « Si c’est trop compliqué, je fais appel à un ébéniste. Mais j’essaie de glaner des apprentissages. » Elle nettoie le bois, le cire, le patine, sans trop le « relooker », car elle aime le « beau bois brut ». Adepte du style années 1930, elle cultive une certaine sobriété, même si elle avoue avoir souvent envie de « partir sur des trucs délirants ». Craignant que cette activité solitaire ne la fasse « devenir une ourse », elle sollicite en permanence des retours sur ses créations.
Pas dans le moule
Travailler le marais est aussi une activité solitaire. Mais, adepte du collectif, Joëlle Epp choisit de rejoindre la coopérative Les Salines de Guérande. Elle en sera un temps présidente. Se présenter comme paludière, et non femme de paludier, sort déjà de la norme. En tant que présidente, elle a essuyé quelques conflits, « mais plutôt parce que je n’étais pas originaire des marais, estime-t-elle. C’est d’ailleurs une femme qui m’a succédé. J’ai l’impression d’avoir ouvert une voie. »
A en juger sur sa propre expérience, Joëlle Epp trouve que dans le monde agricole, « le machisme est plutôt moins flagrant que dans d’autres milieux, en politique, par exemple. Les couples sont habitués à travailler ensemble. Les hommes se sont assez bien adaptés à l’évolution du rôle des femmes. On a de quoi être confiantes. » Elle redoute cependant que le contexte économique ne conduise à une régression. « Dans les situations difficiles, l’égalité redevient dangereuse. Les femmes sont les premières exclues du marché du travail. Les violences redoublent. Il faut en avoir conscience pour désamorcer ces trucs-là. »
Joëlle Epp, seule fille au milieu de cinq frères jusqu’à la naissance de sa sœur sept ans plus tard, n’avait guère d’autre choix que de s’affirmer. « Pour moi, c’était important de ne pas faire comme on aurait voulu que je fasse. Comme ma mère surtout, femme au foyer mais qui rêvait d’autre chose, aurait voulu que je fasse. Je voulais sortir du moule, être indépendante, m’exprimer par mon métier. Gérer ma vie pour ne pas être juste une exécutante. » Elle estime qu’il « reste plein de choses sur lesquelles on a à se battre » pour parvenir à l’égalité femmes/hommes. Mais son féminisme à elle, plus que dans le militantisme, se situe dans la vie quotidienne. Par exemple : « faire en sorte que nos fils soient des mecs bien. ».