Harcèlement sexuel : 20 ans après le vote de la loi, le délit pourrait être abrogé - suite

Le 21 mars 2011, Gérard Ducray, avocat, ancien secrétaire d'Etat au tourisme, ancien député et ancien adjoint à la mairie de Villefranche-sur-Saône en charge de la sécurité, condamné par la Cour d'appel de Lyon pour harcèlement sexuel, s'est pourvu en cassation contre cette condamnation. A l'occasion de ce pourvoi, il a formulé une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), jugée suffisamment sérieuse par la Cour de Cassation pour être transmise au Conseil Constitutionnel le 29 février 2012.

Constatant l'absence de définition du délit de harcèlement sexuel(1), Gérard Ducray demande au Conseil constitutionnel de le déclarer anticonstitutionnel(2) et de l'abroger immédiatement. Cette abrogation immédiate aurait pour conséquences l'annulation de toutes les procédures en cours, la création d'un vide juridique pour les victimes et la garantie d'une impunité totale pour les harceleurs.

Dès le vote de la loi sur le harcèlement sexuel en 1992, l'AVFT en a critiqué la définition juridique et n'a ensuite cessé d'agir pour en obtenir une réécriture. Parmi d'autres arguments, l'association pointe également l'imprécision de la définition du harcèlement sexuel et donc sa contrariété aux exigences constitutionnelles de clarté, précision et prévisibilité de la loi pénale.

Cependant, l'AVFT fait une analyse radicalement opposée à celle de Gérard Ducray des conséquences concrètes de ce manque de précision. Tandis que G. Ducray avance le risque de répression par les tribunaux des « attitudes de séduction » ou de la « drague admissible », l'AVFT, qui intervient auprès de plusieurs centaines de victimes par an, notamment en se constituant partie civile dans leurs procédures judiciaires, constate au contraire des classements sans suite quasi-systématiques et des renvois devant le Tribunal correctionnel pour harcèlement sexuel d'agissements qui auraient du être qualifiés d'agressions sexuelles, voire de viols. De fait, le délit de harcèlement sexuel tel qu'il est actuellement rédigé est interprété de manière très restrictive par les juges et permet la déqualification d'infractions à caractère sexuel théoriquement plus sévèrement réprimées. Ce sont donc bien les droits des victimes qui ne sont pas garantis par la loi, et non pas ceux de la défense.

C'est pour présenter cette analyse antagoniste que l'AVFT s'est jointe à la procédure. Elle demande au Conseil Constitutionnel de déclarer le délit de harcèlement sexuel contraire à la Constitution, tout en différant son abrogation, pour laisser au Parlement le temps de légiférer à nouveau.

Ainsi, une procédure ayant initialement pour objectif l'impunité des harceleurs pourrait-elle servir de point d'appui à une réforme législative de longue date revendiquée par l'AVFT et les victimes.

Mais quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel, le délit de harcèlement sexuel, qui ne permet pas la répression d'agissements pourtant gravement attentatoires à la liberté de milliers de victimes chaque année, et dont les conséquences sont dévastatrices pour leurs droits, leur santé et leur travail, devra être réformé.

(1) Article 222-33 du Code pénal : « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».
(2) La question soumise au Conseil Constitutionnel est la suivante : « L'article 222-33 du Code pénal est-il contraire aux articles 5, 8 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution, ainsi qu'aux principes de clarté et de prévision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, en ce qu'il punit « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, sans définir les éléments constitutifs de ce délit ? ».


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