Medalia Duduianu-Ion, cuisinière
Vivre tranquille
Venue de Roumanie en 2002, elle a connu le nomadisme forcé et les conditions de vie intolérables réservées aux Rroms en exil. Son installation à Indre lui a permis de souffler et d’envisager l’avenir. Le rêve de Medalia Duduianu-Ion est simple : accéder à une vie paisible, pour elle et sa famille.
Medalia Duduianu-Ion est née dans un petit village de la province rurale d’Olténie, au sud-ouest de la Roumanie. « On était très, très pauvre. » se souvient-elle. La famille, sédentaire depuis plusieurs décennies, vit dans une maison en pisé au toit de chaume et au sol en terre battue. « Pas d’électricité, pas d’eau dans la maison, pas de matelas. Les neuf enfants dormaient tous dans la même pièce sur des paillasses. » Ses parents sont saisonniers agricoles. Medalia Duduianu-Ion, l’aînée, s’occupe des plus jeunes.
Elle rêve de « chanter à la guitare. ». Elle a très envie d’apprendre : « J’aimais beaucoup, beaucoup l’école. » Mais elle ne possède pas le moindre matériel scolaire. L’institutrice, bien loin de lui venir en aide, la relègue au fond de la classe. Elle néglige d’ailleurs tous les enfants rroms, victimes d’ostracisme comme leurs parents. Résultat : « Je n’ai même pas pu fini une année. »
Photographies prises lors
de l'entretien avec
Medalia Duduianu-Ion,
chez elle, dans le
"Village de la solidarité",
à Indre.
Esclavage domestique
A 14 ans, Medalia Duduianu se marie avec Vasile Ion. Elle part pour Punghina, un village voisin, vivre avec sa belle-famille, « une famille nombreuse aussi, mais un peu plus riche que nous ». Là, elle travaille la terre par tous les temps, mal équipée pour endurer le froid intense d’hivers rigoureux. Elle s’occupe des vaches qui, précise-t-elle, ne leur appartiennent pas. Elle a en charge les tâches ménagères. Dont la lessive, qui lui laisse un souvenir cuisant : « Je la faisais avec de la soude. J’avais les bras tout rouges ! »
Medalia Duduianu-Ion travaille tant qu’elle tombe malade. Sa première fille, qu’elle met au monde à 15 ans et demi, ne vivra qu’un mois. Le jeune couple frôle la rupture. Mais Vasile Ion, très attachée à son épouse, accepte de déroger à la coutume en venant vivre auprès de sa belle famille.
Allemagne, paradis éphémère
En 1989, Medalia Duduianu-Ion, son mari et leurs deux aînés, Eduardo et Gabriela, partent pour l’Allemagne. Ils s’installent près d’Heidelberg, où ils reçoivent un accueil chaleureux. « J’ai cru que je vivais un rêve. On nous a donné des vraies maisons, des aides pour les enfants. Mon mari a pu travailler comme homme de ménage. Les Allemands étaient très gentils. Il n’y avait pas de racisme. J’étais si heureuse que je ne croyais pas que c’était vrai. »
La chute en décembre 1989 du dictateur Nicolae Ceauceșcu suscite un intérêt soudain pour la Roumanie. En tant que témoins d’une réalité mal connue parce que négligée, les réfugiés rroms sont sollicités par la presse. Medalia Duduianu-Ion se souvient d’avoir accordé des interviews où elle était invitée à s’exprimer sur la politique de son pays et le sort réservé à la minorité rrom.
Mais l’engouement s’estompe. A partir des années 1990, les gouvernements d’Europe occidentale s’alarment d’importantes migrations de Rroms à la recherche de travail. Les pouvoirs publics allemands compliquent les formalités d’obtention d’un visa et limitent drastiquement les aides financières aux demandeurs d’asile. En se dotant d’une nouvelle Constitution en 1991, la Roumanie arbore l’aspect d’une démocratie et passe pour un pays “sûr”. L’asile politique n’est bientôt plus accordé à ses ressortissant.es[1].
L’impossible retour
Trois ans après son installation en Allemagne, la famille doit, contre son gré, repartir en Roumanie. Grâce au petit pécule économisé durant cette période, elle bâtit de ses mains une maison, l’équipe en électricité, fore un puits. « On était bien. » commente Medalia Duduianu-Ion.
Toutefois, la “Révolution roumaine” n’a pas fondamentalement changé les mentalités : les Rroms demeurent aux yeux de beaucoup des citoyen.nes de seconde zone. Dans un pays à l’économie dévastée, trouver du travail est pour elles et eux encore plus difficile que pour le reste de la population. Pas question non plus de bénéficier d’aides sociales. Le système de santé, en totale déliquescence, ne permet d’accéder à des soins corrects et à des médicaments qu’à celles et ceux qui peuvent les financer personnellement.
Or, Vasile Ion souffre d’un diabète lourd. L’impossibilité pour lui de se soigner décidera la famille à reprendre le chemin de l’exil en 2002, cette fois vers la France. Leur route passe par l’Italie, Lyon, la région parisienne, enfin Nantes, où d’autres Rroms de Punghina ont déjà posé leurs valises.
Une pause, enfin
Sur le premier terrain où elle s’installe à Nantes, la famille reçoit de l’aide des Restaurants du cœur et de Médecins du Monde. Medalia Duduianu-Ion apprend le français. Son mari accède à des soins. Les enfants sont scolarisés. Les exilé.es trouvent de l’embauche pour les récoltes saisonnières, certains travaillent dans la ferraille.
Mais en 2004, la police déloge les Rroms. Plusieurs fois, ils devront changer de lieu. Pour Medalia Duduianu-Ion, la conséquence la plus fâcheuse porte sur la scolarisation des enfants, sa priorité. « J’ai été obligée de changer les enfants d’école. Après, on a encore été chassés d’un autre camp, et il fallait faire plus d’une heure en bus pour emmener les enfants et aller les chercher. »
Depuis qu’en 2010, la municipalité d’Indre a accueilli cinq familles, dont celle de Medalia Diuanu-Ion au sein du « Village de la solidarité » (groupe de mobile homes installés sur un terrain au centre du village), l’accès à l’école a cessé d’être un problème. Une domiciliation fixe permet enfin d’effectuer des démarches pour accéder aux droits sociaux, comme à des emplois réguliers.
Medalia Duduianu-Ion s’estime « en bonne santé pour la première fois », même si, bien qu’elle vienne d’atteindre la quarantaine, « [son] corps est fatigué à force de travailler dur ». Elle est employée à temps partiel par une société de nettoyage. Et tous les jeudis, elle prend part à l’atelier de cuisine mis en place par l’association indraise ROMSI, où cinq femmes rroms préparent un repas complet, vendu sur inscription. La cuisine, qu’elle pratique depuis son plus jeune âge, lui procure beaucoup de plaisir. Elle aimerait développer cette activité, ouvrir une boutique de plats à emporter, commercialiser des produits roumains... Mais dans l’immédiat, elle cherche avant tout un emploi salarié sur davantage d’heures, qui pourrait lui permettre d’occuper « une vraie maison ». Vivre l’esprit tranquille, délivrée de la crainte que la scolarisation des enfants soit encore une fois remise en cause.
En partenariat avec ROMSi et le collectif La
Luna, Emulsion a participé à la réalisation du livre De Punghina à Indre, disponible auprès de
l'association ROMSI.
[1] Pour en savoir plus : Les migrations des Roms balkaniques en Europe occidentale : mobilités passées et présentes, Elena Marušiakova et Veselin Popov, traduction de Nadège Ragaru. Consultable sur le site de la revue Balkanologie.