Jeanne Butsitsi, Députée Nationale

Diaporamas : Jeanne Butsisi, en visite à la Bernerie en Retz, août 2013.

Entrée en politique pour agir

Dans une République démocratique du Congo (RDC) ravagée par les conflits, Jeanne Butsitsi, élue Députée Nationale pour la province du Nord-Kivu en 2011, poursuit inlassablement son combat contre la pauvreté et le sexisme.

 

Fin 1996, l’opposition à Mobutu Sese Seko, maître  absolu du pays depuis 1970, se structure au sein de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), qui conquiert rapidement le pouvoir par les armes. En mai 1997, Mobutu destitué, Laurent-Désiré Kabila s’autoproclame président. Depuis, les alliances se font et se défont chez les ex de l’AFDL. Presque vingt ans de conflits ponctués de trêves et d’accords éphémères entre le gouvernement de Kinshasa, dirigé par Joseph Kabila après l’assassinat de son père en 2001, et des « rebelles » sans autre objectif que prendre à leur tour le pouvoir.[1]

La province du Nord-Kivu, à l’est de la RDC, en a particulièrement souffert. Frontalier du Rwanda et de l’Ouganda, foyer de conflits armés entre des rebelles actifs de ces deux pays et des groupes hostiles locaux opérant sur cette région riche en ressources naturelles (minerais, bois, or...) illicitement exploitées, le Nord-Kivu s’est transformé en théâtre d’affrontements incessants entre milices armées. Les viols des femmes et d’enfants, sans oublier les enrôlements forcés d’enfants s’y comptent par milliers.

 

 

Reconstruire l’agriculture locale

Cette province, Jeanne Butsitsi la connaît bien pour y avoir grandi et y avoir vécu la majeure partie de sa vie, et pour y revenir dès que les vacances parlementaires lui permettent de quitter Kinshasa. Elle porte le titre de princesse car son père et son grand-père étaient Grand-Chef coutumier de la Collectivité-Chefferie de Bukumu dont faisait partie l’actuelle Ville de Goma. Aujourd’hui, ce pouvoir est détenu par son jeune frère Mwami Butsitsi-Kahembe Bigirwa Jean-Basco. Jeanne Butsitsi vivait à Goma avec son mari, greffier principal du Tribunal de Goma décédé en 1998, et y tenait un commerce pour soutenir son mari dans les tâches familiales.

En 1994, l’afflux de réfugiés fuyant le génocide au Rwanda déstabilise le Kivu. Jeanne Butsitsi s’installe alors à Kinshasa « pour préserver ses enfants ».  En 1996, après la chute de Mobutu, elle revient à Goma. Elle fonde l’association Aprodebu, dédiée au développement de la collectivité de Bukumu, dans le territoire de Nyiragongo, à la périphérie de Goma. L’objectif en est limpide : combattre la pauvreté en favorisant l’auto-prise en charge. « La population demandait à manger et les besoins de première nécessité. » Mais au Nord Kivu, jadis surnommé le grenier de la RDC pour son sol fertile et la variété de ses produits, les guerres avaient complètement désorganisé l’agriculture. « Il fallait encadrer la population locale pour qu’elle cultive elle-même la terre. Nous avons créé des champs communautaires. »

Jeanne Butsitsi et son jeune frère suivent l’exemple de leur grand-père : ils cèdent des terres. Les 7 ha sont divisés en champs communautaires à raison d’1 ha par groupement pour l’encadrement d’une vingtaine de personnes désœuvrées dans l’agriculture. Avec le soutien de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), Aprodebu distribue des semences et des outils. La récolte, explique Jeanne Butsitsi, est divisée en trois parties : une pour manger, une pour conserver les semences, une pour vendre afin de subvenir aux besoins de la famille. « Cette récolte est strictement communautaire. Les paysan.nes ont aussi de petits champs privés dont ils utilisent la récolte comme ils veulent. » La population de Bukumu  s’occupe de l’élevage : l’association leur a distribué des poules et de chèvres pour palier des carences en vitamines animales, malheureusement tout a été emporté par la guerre.

Cependant, pas de commercialisation possible sans voies de communication. « Construire des routes de desserte agricole était notre objectif n° 1. En temps de guerre, il devient très dangereux de se déplacer seul pour assurer un contrôle d’exécution des travaux, surtout pour une femme. » Sur son salaire de députée, Jeanne Butsitsi  finance environ 70 km de routes de desserte agricole en terre battue, à raison de 10 km par groupement. Aprodebu aide aussi « les mamans qui font des petits commerces », sensibilise la population à l’importance de la scolarisation, notamment des filles, et soutient quatorze jeune gens des deux sexes qui poursuivent des études dans les universités à travers la RDC (UNIGOM, UNIKIS, UNIKIN, ISC, UNILU…).

 

Changer la politique

L’association obtient de grands succès, certes, mais la collectivité a été transformée en champ de bataille pendant toute la période de guerres successives. Cette population meurtrie fut aussi victime de calamités naturelles, telle l’éruption en 2002 du volcan Nyiragongo, toujours actif. Ces mêmes « rebelles » faisaient fuir vers Goma les populations des villages, qui s’entassaient dans des camps sous des tentes de fortune. Aprodebu ne pouvait rester insensible au sort des réfugié.es ou déplacée.es. A l’initiative de Jeanne Butsitsi, l’association puise dans ses réserves une partie de l’argent prévu pour ses activités propres, et l’utilise à l’achat et la distribution des vivres, vêtements, matériels aratoires et d’autres biens de première nécessité.

A l’intérieur des groupements, les choses ne fonctionnent pas comme Jeanne Butsitsi le souhaiterait : « Les femmes font tout. Les hommes sont de grands dauphins gâtés. Ils ne font rien, sauf couper les mauvaises herbes. En plus, ils sont chefs en tout. Ils prennent la récolte des femmes, la vendent, et comme beaucoup sont polygames, ils utilisent l’argent pour doter une autre femme. Les femmes sont très malheureuses au Nord-Kivu. Elles subissent des violences et des viols. Les hommes font n’importe quoi ! »

En outre, la suspicion règne dans ce climat de totales désorganisation et insécurité. Jeanne Butsitsi se trouve obligée d’aider sa communauté Kumu devenue minoritaire dans la Province du Nord-Kivu et aussi dans la Ville de Goma. C'est alors qu'elle prend sa décision : « Moi aussi, j’entre dans la politique, pour la défense des valeurs humaines et inaliénables ! ».

Sa première tentative aux législatives en 2006 se solde par un échec. « Il y a eu une campagne de manipulation. On disait aux gens : “Si vous votez pour cette maman, elle ira à Kinshasa, elle ne reviendra pas“ ». De fait, ainsi agirent les élus depuis 1960, année de la création du parlement congolais. Jeanne Butsitsi ne désarme pas, elle se présente à nouveau en 2011 et cette fois, est élue Députée Nationale. « La population a compris car elle a vu que je continuais mes actions. Elle m’a élue pour représenter le territoire. »

Ses fonctions l’ont obligée à s’installer à Kinshasa. Mais elle  a ouvert un bureau local à Monigi-Nyiragongo, ainsi qu’une permanence téléphonique, où des assistant.es et animateur.trices de terrain répondent aux demandes de la population. Jeanne Butsitsi ne se contente pas de faire de la politique – elle change la politique par ses qualités d’écoute et son attitude de proximité avec la population.

 

[1] Voir rétrospective sur Jeune Afrique