Prostitution à Nantes : des faits

Vendredi 23 septembre, à l'initiative de Femmes Solidaires, s'est tenue à

Couëron la rencontre Prostitution et agressions sexuelles - STOP.

Deux militantes y ont communiqué les informations recueillies auprès de

Patrice Le Corre, Capitaine de Police, Chef de la Brigade des Mœurs de la Sûreté Départementale de Loire-Atlantique.

La soirée organisée par le Collectif départemental et les comités locaux de Femmes solidaires s'est déroulée à l'espace de la Tour à plomb à Couëron, avec Gwendoline Lefebvre de Clara Magazine, Lauryane Picaud, présidente départementale. Le Mouvement du Nid était représenté à la table ronde et aux échanges par Anne Marie Ledebt, responsable départementale qui a présenté le film Abolir la prostitution, pourquoi ?.

L’équipe dirigée par le Capitaine Le Corre comprend sept personnes, deux femmes, cinq hommes, assistée.es par un « emploi jeune » ; soit une légère augmentation par rapport à l’effectif des années précédentes. Son champs d’attribution concerne les crimes sexuels (Viols, agressions sexuelles sur personne, exhibitionnisme, lutte contre le proxénétisme), la protection des personnes prostituées (c’est par ce service que celles qui le souhaitent passent pour contribuer à lutter contre la prostitution), le repérage (missions de contrôles, clubs échangistes, parcs..) et la surveillance des fichiers de délinquants sexuels (contrôle une à deux fois par an) sur le territoire de Nantes et l’agglomération.La lutte contre le proxénétisme se déroule désormais sur une dimension internationale, en lien avec l’OCRTEH (Office central pour la répression de la traite des êtres humains – Ministère de l’intérieur). Là, on centralise et analyse les renseignements, mène et coordonne des opérations contre le proxénétisme, lutte contre la criminalité organisée. Les réseaux de prostitution se trouvent dans les villes ; les deux tiers ont été démantelés à Paris, Nantes, Lille, Grenoble.Selon les chiffres nationaux fournis par l’OCRTEH en 2013, 83% des personnes prostituées sont des étrangères, venues principalement de Roumanie, de Chine et du Nigéria. Le trafic d’êtres humains génère un immense business international, avec des intérêts financiers colossaux. A Nantes, l’équipe sort effectuer des contrôles une fois par semaine.

Les militantes et responsables des comités locaux restituent leurs actions - (entretien avec le responsable de la brigade des mœurs à Nantes, sensibilisation en milieu scolaire contre l'hyper sexualisation des petites filles). Échanges et débats avec la salle. L'exposition Violences : elles disent non !, de Clara magazine, était installée en fond des débats et des échanges.

La situation à Nantes

Les personnes prostituées dans la rue avec des passes entre 20 à 40 € sont majoritairement nigérianes. Elles sont soumises à un proxénétisme matriarcal. Une promesse d’emploi dans la coiffure ou la vente les décide à venir en France. Elles y sont mises sur le trottoir immédiatement, et on les déclare redevables d’une dette de 50 à

60 000 €. Une somme colossale. Si elles renâclent à rembourser cette prétendue dette, on les menace d’envoûtement, sur elles-mêmes ou leur famille restée au Nigéria, puis quand elles n’y croient plus, de mauvais traitements. Les quatre cinquièmes d’entre elles ont moins de 25 ans ; officiellement, elles sont majeures, mais le doute reste permis. Quand elles ont tout remboursé, elles sont libres. Mais pour quoi faire ? Certaines deviennent maquerelles à leur tour. Les Roumaines, des Roms, sont aussi venues sur la promesse d’un emploi ou d’un mariage. Un homme chapeaute deux à trois très jeunes femmes. Elles subissent des violences et ne restent que très peu de temps dans le même secteur. Que deviennent-elles ? Il y a aussi à Nantes des personnes prostituées d’Afrique occidentale, du Cameroun, d’Équateur, de Colombie, dont quelques transsexuelles.

La prostitution par Internet compte aussi beaucoup d’étrangères : d’Amérique du Sud ou Centrale (Paraguay, Bolivie, Colombie, Argentine...), d’Europe de l’Est (des roumaines, non roms) et de Chine (en particulier du Fujian, région Sud de la Chine). Un.e proxénète, parfois sous couvert d’une « agence » sert d’intermédiaire en louant des appartements, organisant des rendez-vous, et prélève quelque 50% de la recette ; de 60 à 200€ la passe, laquelle peut aller jusqu’à 1 500 € si l’acte sexuel s’accompagne d’une « escorte ». Si les proxénètes sont découverts, ils encourent six ans de prison. Mais la police dispose de peu de moyens pour la surveillance rapprochée sur le net et ne possède aucune donnée sur la prostitution des jeunes étudiantes désargentées.

Ainsi il est à constater un rapport à l’argent contrasté, reproduisant l’inégalité sociale et la ségrégation raciale dont sont victimes les nigériannes et les roms, prostituées fragilisées et exposées à des rapports sexuels plus fréquents dans la rue dans des lieux encore plus précaires en centre-ville, les autres en périphérie, dans des lieux quasi privés.

La brigade entretient des contacts discrets avec les personnes prostituées, tâche de créer des conditions de confiance pour encourager des dénonciations. Les associations, le Mouvement du Nid, le bus de Médecins du Monde, quelques pasteurs sont aussi des relais et soutiens pour les prostituées. Mais les déclarations de plainte sont rares, y compris sous X. Les menaces sont trop fortes. Certains proxénètes se justifient en inventant un récit selon lequel les femmes seraient venues en France pour fuir un danger. A noter aussi qu’il existe un dispositif national d’assistance et d’aide aux victimes de la traite des êtres humains, ac-sé (n°indigo : 0 825 009 907).

Il y a des démantèlements, des arrestations et des condamnations. Mais le réseau national, l’OCRET, ne dispose que de trois équipes de cinq personnes, beaucoup trop peu, L’OCRTEH permet des coopérations internationales ; cependant, ni la Russie ni l’Ukraine ne collaborent. Une personne prostituée étrangère qui dénonce ses proxénètes bénéficie d’un titre de séjour d’un an. Pas d’un suivi suffisant pour entreprendre sereinement une nouvelle vie.

Cette remarquable soirée de débats difficiles et précieux a été ponctuée avec émotion et talent par l'auteure compositrice interprète Claude Michel. Son accordéon pour complice, elle a entonné une sélection de son superbe répertoire de chansons féministes . 

La pénalisation du client

En France, la loi est trop neuve pour qu’on puisse en tirer des conclusions probantes. Cependant, son effet dissuasif a été constaté. L’amende (1 500 €, 3 000 € si récidive) arrive au domicile du client ; s’il s’agit d’un homme marié, catégorie fortement représentée, il se trouve démasqué ; la peur des conséquences le freine.

Quand tous les décrets d’application de la loi seront arrivés aux services, ce qui n’est pas encore le cas, la brigade du Capitaine Le Corre ne sera pas concernée. La tâche revient au service de la Voie publique. Quels moyens aura-t-il ? En tout cas, tout.e citoyen.ne peut désormais dénoncer un client de la prostitution.

En Suède, pionnière en 1999, de nombreux ex-clients ont fourni des renseignements pour aider à la lutte contre le proxénétisme, et la prostitution a baissé. Alors qu’en Allemagne, le réglementarisme n’a pas prouvé l’effet promis de protection et sécurité pour les personnes prostituées ; des courants de contestation prennent de plus en plus d’importance.