Soizic Lebrat, musicienne
Soizic Lebrat au travail sur son spectacle Bleu Solo :
création-performance de sa robe de scène avec la styliste Sandra L'Hostis
et répétition avec la scénographe et plasticienne Marina Pirot.
Questionner les cadres
Le goût de la recherche guide la pratique musicale de Soizic Lebrat, violoncelliste de formation classique, qui cultive les échanges créatifs hors des sentiers battus.
Certes, elle se présente comme violoncelliste, mais « on peut y entendre plein de choses. » Ce pourquoi elle préfère l’appellation « artiste musicienne », qui élargit celle d’instrumentiste.
« Au Conservatoire, on apprend à être interprète. » Sans renier cette formation précieuse, Soizic Lebrat a réalisé un beau jour qu’elle n’était pas entièrement satisfaite : « J’ai eu envie de dire et jouer d’autres choses. Sortir de la posture d’interprète et devenir auteure.»
Un espace de liberté
La métamorphose est passée par une période d’arrêt de ses activités d’interprète, où elle se livre à l’improvisation, « l’endroit qui relie la composition et l’interprétation – en direct ». L’objectif étant de prendre de la distance, s’affirmer en tant que créatrice, questionner les cadres institués dans la musique classique, « venir bousculer tout ça. ».
Soizic Lebrat, rigoureuse dans ses propos comme dans sa pratique, ne s’intitule pas compositrice. Pourtant, elle compose pour elle-même. « J’écris par schémas, mémentos. Ça n’est pas prévu pour être lu par d’autres. Je n’ai pas encore expérimenté une écriture spécifique déchiffrable. Mais je ne l’exclus pas. »
Quand on lui demande de définir son domaine musical, elle hésite entre « musiques expérimentales », « musiques hybrides », « musiques libres »... pour s’arrêter sur « musiques d’auteur.e », dont le clin d’œil au cinéma ne lui déplaît pas. Soizic Lebrat évolue dans des circuits alternatifs, où des artistes de multiples disciplines « se retrouvent sur un processus de création ». Elles/ils s’auto-organisent par nécessité, pour présenter leurs spectacles et éditer leurs œuvres. « Très actifs mais peu visibles », résume Soizic Lebrat. De ce fonctionnement marginal, elle apprécie le travail en commun, l’affranchissement des commandes et la préservation d’un « espace de liberté ». Beaucoup moins la recherche de fonds qui, parfois porte atteinte à la solidarité.
Chercher, partager, transmettre
Soizic Lebrat se passionne aussi pour la recherche, en histoire culturelle de la musique et en musicologie. Elle a mené une thèse sur le mouvement orphéonique en France[1]. Elle enseigne l’histoire culturelle de la musique et partage la pratique de l’improvisation auprès de futurs enseignants en musique ou en danse. Et espère que la réforme transformant les CEFEDEM[2] en ESPE[3] dépendant des universités et des conservatoires ne la privera pas de transmettre son savoir.
Elle dit évoluer dans un monde majoritairement masculin. « Les femmes sont nombreuses dans les pratiques musicales, mais moins visibles, moins programmées. » Elle s’est trouvée confrontée concrètement à cette question récemment dans l’un de ses projets de recherche-création en musique, La Fabrique de musique, une émission mensuelle sur la radio associative nantaise JetFM91.2. L’émission n’est que la partie émergée d’un « dispositif radiophonique » favorisant les rencontres d’univers sonores et musicaux variés. Soizic Lebrat y invite chaque mois un.e artiste travaillant sur le son, avec qui elle offre une performance en direct. Elle a peiné à respecter l’objectif paritaire qu’elle s’était fixé.
Autre illustration de son désir de partage : le spectacle Bleu solo, créé à San Francisco en 2010 avec le vidéaste québécois Yan Breuleux, remis en chantier actuellement, en complicité avec la styliste nantaise Sandra l’Hostis et la scénographe plasticienne Marina Pirot.
[1] - Le mouvement des orphéons fut fondé dans les années 1830 par Willem, initiateur de l’apprentissage du chant dans les écoles, convaincu que « le sentiment esthétique exalte les passions, mais les civilise ». Il fédérait des chorales laïques (au départ, exclusivement masculines !), connut un succès retentissant et essaima dans le monde entier. Pour injustement tomber dans l’oubli à la fin des années 1930. Thèse en ligne : http://archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/show.action?id=85c9623d-ea0d-449f-8aef-f6124148f9eb
[2] Centre de Formation des Enseignants de la Danse et de la Musique.
[3] Pôle d'enseignement supérieur spectacle vivant.
Dernière émission de La fabrique de musique dimanche 2 juin à 19h, en compagnie de la virtuose du gômoungo E’Joung-Ju.
On pourra aussi découvrir E’Joung-Ju lors de la première édition du festival Printemps coréen