La Luna, 25 ans de collectif
Le collectif d'artistes plasticiennes la Luna a célébré en 2018 ses vingt-cinq années d'existence. Une longévité exemplaire pour une pratique qui suscitait à ces débuts incompréhension et méfiance. Depuis 1993, une suite ininterrompue de créations artistiques partagées avec, et non "pour", les habitant·es des territoires où elles interviennent a assis la crédibilité de leur démarche. Elles traitent des questions politiques de façon poétique, avec douceur et efficacité.
Nul besoin de proclamer "Bienvenue" à l'entrée de l'Atelier car l'exposition "Nomades sous la lune" inspirait immédiatement la bienfaisante sensation de se trouver chez soi. Le collectif de plasticiennes la Luna y marquait vingt-cinq ans de pratique commune, constante et fidèle à elle-même. De pièce en pièce, dans un espace à la circulation ouverte et aisée, les installations, mieux que de se succéder, s'entremêlaient et formaient un tout absorbant. "Ce qui nous intéresse, c'est d'habiter les lieux, à l'intérieur ou à l'extérieur", disent les trois complices. Le principe se retrouve dans leurs différents travaux. Comme toutes leurs fabrications collectives, comme toutes leurs performances sur l'espace public, l'exposition s'est montée avec les personnes qui avaient réalisé les installations. Quinze jours dans lesquels elles comptent aussi les déjeuners et les pauses ensemble, où chacun·e (inter)venait en fonction de ses désirs et ses possibles. "Les espaces de respiration font que ça peut exister."
Tout peut toujours être questionné
"Chaque pièce raconte une petite partie de ce qui se passe à côté. C’est ça qui nous enveloppe. Ce qui apparaît dans la façon dont on l’a installée. Des fois, tu peux avoir des petites formes qui apparaissent dans une installation à côté. Les thématiques circulent." Plasticiennes et participant·es ont installé des œuvres abouties mais toujours transformables. Des modifications, des ajouts, sont intervenues durant l'installation et même pendant l'ouverture de l'exposition. "Le lieu ne nous appartenait pas qu'à nous, la Luna. C'était l'espace du collectif. Chacun·e peut avoir envie de continuer, d'aller plus loin." Cependant, toutes les propositions ne se trouvent pas systématiquement acceptées."Tout est possible mais tout est sous le regard des autres, donc la critique des autres. C'est un projet global. Quand tu fabriques une part, tu dois être en relation avec la part des autres." Les participant·e comprennent cet objectif exigeant, s'entraident, aident aussi à des tâches non créatives, comme le ménage, accueillent le public et facilitent ses pas dans l'exposition. "On ne sait plus trop d'où viennent les idées."
En 2008, pour la Journée Internationale des droits des Femmes, la Luna mène le projet "Elles tracent des chemins", en lien avec le reportage Rur(é)alitéEs. d'Émulsion débouchant sur un livre éponyme, dont le collectif réalisa la mise en écho artistique, une exposition et une série d'actions,
Penser en faisant
Construire un projet en l'inscrivant dans l'histoire d'un territoire, passionner, fidéliser et souder les équipes, la Luna l'a appris avec la pratique. En 1993, années du triomphe des "nouvelles technologies" et des débuts de la course à la "modernité", il paraissait étrange que des artistes ne s'orientent pas vers l'expression personnelle, les performances criardes, la conquête acharnée du marché de l'art. Toutes trois issue d'écoles d'art, elles se sont regroupées autour du désir de création partagée. Pas question d'individualiser leurs travaux, pas même de citer leurs noms personnels. Aujourd'hui encore "aucune n'est spécialisée dans tel ou tel domaine. Chacune peut faire tout, diriger un projet, constituer un dossier, donner une conférence. Bien sûr, pas de la même manière, c'est ça qui est bien. Travailler en collectif permet de varier les postures."
De même, il y a vingt-cinq ans, peu se souciaient d'interroger l'urbanité et d'en "dessiner de nouvelles formes." Métamorphose le paysage et créer des liens pour véritablement habiter ensemble n'entrait pas dans les préoccupations à la mode, ni de la part des instances publiques ni de celle de la plupart des citoyen·nes. L'urgence existait bien mais elle n'avait pas encore été sonnée. Pour les plasticiennes de la Luna, intervenir dans des quartiers souvent populaires ne représente aucunement une solution de secours pour renflouer leur caisse. Elles ne proposent pas des réalisations rapides et médiocres. Elles ne contrefont pas la collaboration. Elles font du vraiment beau, du vraiment collectif, du vraiment investi. Elles ne s'adressent pas à une catégorie de personnes mais à des groupes constitués de personnes qui ont envie d'être là. Elles pensent en faisant car "si tu penses trop, tu deviens dogmatique." Elles ont l'impression qu'on les comprend à présent mieux qu'avant. Se trouver en décalage ou en avant-garde n'est pas leur but. La Luna persiste, évolue, peaufine, soigne son public fidèle, en renforçant et non en affadissant leurs objectifs initiaux.